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La pré-éclampsie (PE) est une pathologie hypertensive de la grossesse humaine responsable d’une morbi-mortalité maternelle et fœtale élevée. Des marqueurs biologiques sont aujourd’hui disponibles, au premier trimestre de la grossesse pour identifier les patientes pouvant bénéficier d’une prophylaxie précoce par aspirine, et au deuxième trimestre, pour aider dans la décision du maintien à domicile ou anticiper la prise en charge.

Définition de la PE

La définition de la PE repose sur l’association, de novo, au-delà de 20 semaines d’aménorrhée (SA), d’une Hypertension Artérielle (HTA) et d’une protéinurie : tension artérielle systolique (PAS)  ≥  140 mm Hg et/ou diastolique (PAD) ≥ 90 mm Hg sur 2 mesures à 4 h d’intervalle et protéinurie ≥  0,3 g/24 h (ou rapport protéine/créatinine urinaires  ≥  30 mg/mmol) (Magee SOGC 2014). Néanmoins, 20 % des PE sont sans protéinurie ; les dernières recommandations reconnaissent donc également le diagnostic de PE en cas d’HTA associée à des signes de défaillance organique maternelle, y compris en l’absence de protéinurie significative. La PE est dite précoce lorsqu’elle survient avant 34 SA. Il existe également des formes de PE du post-partum (jusqu’à 6 semaines en post-partum).

Dans 1 cas/10, la PE prend une forme sévère et l’évolution peut être très rapide après l’apparition des premiers symptômes. La PE est dite sévère en présence d’au moins un des critères maternels suivants : HTA sévère (PAS ≥ 160 mm Hg et/ou PAD ≥ 110 mm de Hg), atteinte rénale (oligurie < 500 ml/24 h ou créatinine > 135 µmol/L ou protéinurie > 5 g/j), œdème aigu du poumon ou barre épigastrique persistante ou HELLP syndrome (Hemolysis Elevated Liver enzymes Low Platelets), éclampsie ou troubles neurologiques persistants, thrombopénie (plaquettes < 100 G/L), hématome rétroplacentaire, retentissement fœtal (Retard de Croissance In Utero ou RCIU sévère, anomalie du rythme cardiaque fœtal) (Recommandations formalisées d’experts SFAR/CNGOF/SFMP/SFNN 2009, ACOG ou American College of Obstetricians and Gynecologists 2013).

 

La morbi-mortalité maternelle et fœtale associée est élevée

En France, la PE est à l’origine d’1/3 des naissances de grands prématurés (prématurités induites pour sauvetage maternel ou fœtal), ¼ des morts périnatales et c’est une cause majeure de RCIU. C’est la 2ème cause de décès maternels en France après les hémorragies de la délivrance. En outre, la PE entraîne des complications à long terme : les femmes ayant eu une PE ont un risque fortement accru de morbi-mortalité cardiovasculaire et/ou de syndrome métabolique.

 

Les facteurs de risque sont multiples

Génétiques (antécédents personnels ou familiaux de PE), immunologiques (la PE est 4 à 5 fois plus fréquente chez la nullipare que chez la multipare, primipaternité, « sperm exposure » courte,…), physiologiques (patiente au-delà de 40 ans, origine Afrique sub-saharienne et Antilles, Indice de Masse Corporelle > 35 kg/m2), pathologies pré-existantes (hypertension pré-existante, syndrome des anti-phospholipides, lupus érythémateux systémique, diabète insulino-dépendant,…), facteurs liés à la grossesse (grossesse multiple,…).

L’incidence est très variable selon les pays, allant de 3 à 7 % des grossesses chez les nullipares et de 1 à 3 % chez les multipares ; en France, l’incidence est estimée à 1-3 % pour les nullipares et 0,5-1,5 % pour les multipares (Goffinet 2010).

 

La PE résulte d’un défaut de placentation

L’invasion trophoblastique est incomplète et le remodelage des artères spiralées est défectueux. Il en résulte un débit sanguin insuffisant pour les besoins du fœtus, une hypoxie placentaire avec retentissements fœto-placentaires, et la libération de débris apoptotiques syncytiaux, à l’origine de la maladie endothéliale maternelle. La PE se développe donc lors de la placentation, entre 8 et 16 SA, mais les symptômes n’apparaissent qu’à partir du 2ème trimestre (Tsatsaris 2010) (figure 1).

Figure 1 : physiopathologie de la pré-éclampsie (Tsatsaris 2010)

Les marqueurs biologiques présentent un intérêt différent au 1er trimestre de la grossesse et aux 2e et 3e trimestres

Le dépistage de PE au 1er trimestre de la grossesse a été présenté dans le Lumière sur… de février 2015 (numéro 75). En résumé, l’intérêt d’un dépistage précoce au 1er trimestre de la grossesse est d’identifier les patientes à risque de développer une PE qui pourraient bénéficier de mesures préventives notamment d’une prophylaxie par aspirine avant 16 SA. L’étude ASPRE (Rolnik 2017) a en effet démontré l’intérêt de la mise en place d’un traitement à l’aspirine à faible dose dans la prévention de la PE précoce chez les patientes à risque (150 mg/j, traitement à débuter entre 11 et 14 SA et à prendre jusqu’à 36 SA) : 15 PE avant 34 SA dans le groupe placebo (n=822) versus 3 PE avant 34 SA dans le groupe aspirine (n=798). Dans une méta-analyse, Roberge (2018) a montré que l’aspirine commencée avant 16 SA et à une dose ≥ 100 mg réduit le risque de PE précoce. Ce dépistage prend en compte les facteurs de risque maternels, les mesures biophysiques (pression artérielle moyenne et Dopplers des artères utérines) et les dosages biologiques (PAPP-A et PlGF) pour calculer un risque de PE précoce et un risque de PE tardive.

 

Test prédictif de pré-éclampsie aux 2e et 3e trimestres

Ce test concerne les patientes entre 20 et 37 SA et présentant au moins un signe d’appel. Son objectif est d’apporter une aide au clinicien dans la décision de maintenir la patiente à domicile ou de l’hospitaliser. Ce test peut également permettre d’orienter la patiente vers le circuit de soins adapté dès l’apparition des premiers symptômes et d’anticiper les complications fœto-maternelles. Par ailleurs et toujours en complément du dossier clinique, ce test peut apporter une aide au diagnostic de PE et dans la décision d’extraire le fœtus et son placenta, par césarienne ou en déclenchant le travail.

Ce test s’appuie sur la production par le trophoblaste de facteurs angiogéniques, notamment PlGF (Placental Growth Factor) et antiangiogéniques comme sFlt-1 (fms-like tyrosine kinase 1, fraction soluble du récepteur membranaire du VEGF de type 1). Lors d’une grossesse « normale » le placenta produit des taux élevés de PlGF qui, en se liant à son récepteur membranaire Flt-1, entraîne une vasodilatation. Dans la PE, le placenta ischémique libère du sFlt-1 qui capte les formes circulantes de PlGF ; ce dernier ne se lie donc pas à son récepteur membranaire et la vasoconstriction persiste.

Le déséquilibre des concentrations sériques de sFlt-1 et de PlGF est détectable plusieurs semaines avant la survenue clinique de PE : environ 5 semaines avant la survenue de la PE, la concentration de sFlt-1 augmente significativement alors que la concentration de PlGF diminue de façon importante. L’étude PROGNOSIS (multicentrique, prospective et non interventionnelle, menée en double aveugle) a évalué le ratio sFlt-1/PlGF pour la prédiction à court terme de la PE chez des femmes enceintes à risque. Un ratio sFlt-1/PlGF ≤ 38 (seuil donné pour la technique Roche, le seuil dépend de la technique utilisée) permet d’orienter les patientes vers un suivi ambulatoire avec une valeur prédictive négative (VPN) de 99,3 % à une semaine (sensibilité 80,0 % et spécificité 78,3 %) ; plus de 80 % des patientes appartiendront à ce groupe à bas risque. Un ratio sFlt-1/PlGF > 38 permet d’anticiper la prise en charge et d’orienter les patientes à haut risque vers une hospitalisation, avec une valeur prédictive positive (VPP) de 36,7 % à 4 semaines de développer une PE (Stepan 2015, Zeisler 2016).

Concernant l’aide au diagnostic de PE, Stepan (2015) a proposé les seuils de ratio sFlt-1/PlGF > 85 (avant 34 SA) et > 110 (après 34 SA) pour le diagnostic de PE, avec une implication directe sur la prise en charge des patientes.

La biologie offre aujourd’hui des marqueurs biologiques de PE qui, en complément du dossier clinique, aident le clinicien dans la prévention et la prise en charge de la pathologie. Plus largement, elle s’intègre dans une approche médicale multidisciplinaire du suivi de la grossesse.

Informations pratiques

  • Prélèvement : sérum à 2-8 °C.
  • Dépistage au 1er trimestre : code Eurofins Biomnis : PECLA
    Prélèvement entre 11 SA et 13 SA + 6 jours (concomitant au dépistage de la trisomie 21 fœtale).
    Joindre la feuille de renseignements (R4).
  • Test prédictif ou diagnostique : code Eurofins Biomnis : TPREE
    Prélèvement à partir de 20 SA. Renseignement à fournir : date de grossesse.
  • Des enveloppes (S20) sont disponibles pour un acheminement en urgence.

Références

Magee LA, Pels A, Helewa M, Rey E, von Dadelszen P. Canadian Hypertensive Disorders of Pregnancy Working Group. SOGC Clinical practice guideline: Diagnosis, evaluation, and management of the hypertensive disorders of pregnancy: executive summary. J Obstet Gynaecol Can 2014;36:416-41.

Société Française d’Anesthésie et de Réanimation, Collège National des Gynécologues Obstétriciens Français, Société Française de Néonatalogie, Société Française de Médecine Périnatale. Recommandations formalisées d’experts communes SFAR/CNGOF/SFMP/SFNN : Prise en charge multidisciplinaire des formes graves de prééclampsie, 27 janvier 2009. Disponible sur http://www.cngof.asso.fr/

ACOG disponible sur http://www.acog.org/Resouces and publications/Task force and work group reports/Hypertension in pregnancy

Goffinet F. Epidemiology. Ann Fr Anesth Reanim 2010;29:e7-e12.

Tsatsaris V, Fournier T, Winer N. Pathophysiology of preeclampsia. Ann Fr Anesth Reanm 2010;29:e13-e18.

Rolnik DL, Wright D, Poon LC et al. Aspirin versus placebo in pregnancies at high risk for preterm preeclampsia. N Engl J Med 2017;377:613-22.

Roberge S, Bujold E, Nicolaides KH. Aspirin for the prevention of preterm and term preeclampsia: systematic review and metaanalysis. Am J Obstet Gynecol 2018; 218:287-93.

Stepan H, Herraiz I, Schlembach D et al. Implementation of the sFlt-1/PlGF ratio for prediction and diagnosis of pre-eclampsia in singleton pregnancy: implications for clinical practice. Ultrasound Obstet Gynecol 2015;45:241-6.

Zeisler H, Llurba E, Chantraine F et al. Predictive value of the sFlt-1:PIGF ratio in women with suspected preeclampsia. N Engl J Med 2016;374:13-22.