Dysfonctionnements thyroïdiens et grossesse | Eurofins Biomnis

Au cours de la grossesse, l’axe hypothalamo-hypophyso-thyroïdien s’adapte aux changements de la physiologie maternelle et aux besoins du fœtus. On estime que l’activité de la thyroïde augmente d’environ 50 % pour couvrir ces besoins. Mais les dysfonctionnements thyroïdiens sont fréquents et peuvent entraîner des conséquences graves pour la mère et le fœtus. D’où l’intérêt d’une évaluation de la fonction thyroïdienne chez la femme enceinte. L’HAS a récemment émis des recommandations à ce sujet que nous vous présentons ci-dessous.

Les dysfonctionnements thyroïdiens au cours de la grossesse peuvent être classés selon trois critères :

  • le statut hyper ou hypothyroïdien, défini par la concentration sérique en TSH,
  • le caractère clinique (avéré) ou subclinique (fruste), défini par le tableau clinique et la concentration sérique en T4L,
  • l’étiologie auto-immune, définie par la présence d’auto-Ac anti-thyroperoxydase (TPO), anti-thyroglobuline (anti-Tg) ou anti-récepteur à la TSH (TSHr ou TRAK).

Hypothyroïdie et grossesse

L’hypothyroïdie avérée (clinique) est définie par une TSH augmentée et une T4 libre diminuée.

L’hypothyroïdie fruste (subclinique) est définie par une TSH augmentée s et une T4 libre normale.

Si la TSH est supérieure aux valeurs de référence (> 4 mUI/L chez la femme enceinte), elle doit être confirmée sur un 2e prélèvement.

Une hypothyroxinémie isolée peut également être constatée, définie par une T4L diminuée et une TSH normale.

En France, la fréquence de l’hypothyroïdie clinique est estimée entre 0,3 et 0,5 % et celle de l’hypothyroïdie subclinique entre 2 et 5 % si l’on considère une valeur seuil de TSH > 4 mU/L, et entre 10 et 15 % si l’on considère un seuil de TSH > 2,5 mU/L. La prévalence de l’hypothyroxinémie isolée est estimée à 2,2 % et celle de la présence d’Ac anti-TPO au cours de la grossesse, entre 5 et 10 %.

Les valeurs de référence de la TSH au cours de la grossesse ont été redéfinies par la HAS en 2023 : 0,1 à 4 mU/L, quel que soit le trimestre.

La T4L diminue physiologiquement au cours de la grossesse, mais les variations constatées en fonction des techniques de dosage ne permettent pas de définir un intervalle de référence consensuel. Il convient de prendre en compte les valeurs données par le laboratoire.

Références

Etiologies des hypothyroïdies

Elles varient selon l’origine géographique, l’ethnie, l’âge, l’indice de masse corporelle (IMC), le statut iodé.

Les principales étiologies sont une carence iodée, une thyroïdite auto-immune (dans les pays développés) ou une cause iatrogène (chirurgie, I131, anti-thyroïdiens de synthèse…).

Conséquences de l’hypothyroïdie chez la femme enceinte

Les conséquences obstétricales d’une hypothyroïdie clinique non traitée sont potentiellement sévères. Ce sont des fausses couches précoces ou des avortements spontanés (60 % en cas d’hypothyroïdie clinique, plus de 6 % en cas de TSH > 2,5 mU/L), une hypertension gravidique (pré-éclampsie et éclampsie : 22 % en cas d’hypothyroïdie clinique), des anomalies et décollements placentaires, une anémie, un accouchement prématuré (moins de 32 semaines de grossesse : 60 % en cas d’hypothyroïdie clinique), un retard de croissance in utero, une hypotrophie fœtale, une détresse respiratoire (requérant un passage en réanimation néonatale), des anomalies congénitales, une mort fœtale (en cas d’hypothyroïdie clinique et sévère), une hémorragie du post-partum.

Les conséquences néonatales des dysthyroïdies gestationnelles peuvent également être graves. En effet, les hormones thyroïdiennes interviennent de manière très importante sur la maturation neuronale. De fait, ont été constatées une diminution significative du quotient intellectuel (QI) chez les enfants nés de femmes hypothyroïdiennes, ainsi qu’une corrélation entre la sévérité de l’hypothyroïdie maternelle et la diminution du QI d’enfants âgés de 7 à 9 ans.

Références

Hypothyroïdie et grossesse : dépistage systématique ou ciblé sur le risque d’une dysthyroïdie ?

Actuellement, le dépistage en France est ciblé sur les facteurs de risque de dysthyroïdie (cf. Tableau 1). Il est recommandé, dès la première consultation suivant le diagnostic de grossesse et repose sur un dosage de TSH (ne pas doser la T4L, ni la T3L qui n’interviennent pas dans la décision d’un traitement substitutif).

Une valeur de TSH > 4 mUI/L devra être confirmée sur un 2e prélèvement.

Si la TSH est > 2,5 mUI/L, le dosage des Ac anti-TPO est recommandé pour évaluer le risque d’évolution vers une hypothyroïdie.

Tableau 1 : Facteurs de risque d’une affection thyroïdienne avant ou au cours de la grossesse 

  • Age > 35 ans pour la HAS
  • Indice de masse corporelle (IMC) ≥ 40 kg/m2
  • Traitement par amiodarone, lithium,
  • Antécédent de diabète de type 1 ou de maladie auto-immune.
  • Antécédents obstétricaux :  
  •                 accouchement prématuré,
  •                 mort fœtale,
  •                 fausses couches à répétition,                                          
  •                 infertilité.
  • Antécédents personnels d’affections thyroïdiennes :
  •                 notion d’anticorps antithyroïdien positifs,
  • signes ou symptômes de dysthyroïdie,
  • goitre,
  • résidence dans une région de carence iodée modérée ou sévère,
  • antécédent de radiothérapie cervicale ou de chirurgie thyroïdienne.
  • Antécédents familiaux de dysthyroïdies (1e degré)

La France n’est pas un pays de carence iodée en général, mais pour les femmes enceintes, il peut l’être.

Les arguments en faveur d’un dépistage systématique ou universel sont que les affections thyroïdiennes sont fréquentes au cours de la grossesse, que les complications maternelles et fœtales sont non négligeables alors qu’il existe un traitement efficace et peu onéreux et que les états subcliniques (40-50 %) redevables d’un traitement ne sont pas actuellement diagnostiqués.

Les arguments pour un dépistage ciblé ou fondé sur le risque sont qu’en cas de dysthyroïdie asymptomatique, il n’y a pas de risque gestationnel et qu’un dépistage systématique serait anxiogène et associé à un risque de surtraitement.

Néanmoins, la tendance actuelle est d’aller de plus en plus vers un dépistage systématique ou universel.

Prise en charge de l’hypothyroïdie au cours de la grossesse

Chez les femmes déjà connues pour hypothyroïdie avant la grossesse et traitées, il convient de remplacer le traitement par de la lévothyroxine (LT4) en préconceptionnel (si le traitement était différent) et d’augmenter les doses de LT4 de 20 à 30 % dès connaissance de la grossesse.

Chez les femmes pour lesquelles une hypothyroïdie est dépistée au cours de la grossesse, l’indication d’un traitement par lévothyroxine est posée dès que la TSH est supérieure à 4 mUI/L (en l’absence ou en présence de stigmates d’auto-immunité), voire dès 2,5 mUI/L si les Ac anti-TPO sont positifs (traitement discuté si la TSH est comprise entre 2,5 et 4 mUI/L).

Les femmes enceintes traitées par lévothyroxine doivent être suivies par un dosage de TSH toutes les 4 à 6 semaines jusqu’à 22 semaines d’aménorrhée, puis une fois entre 30 et 34 SA et au moins une fois en post-partum. L’objectif est d’obtenir une valeur de TSH sérique comprise entre le seuil inférieur et 2,5 mUI/L (proche de 2,5 mUI/L).

Chez les femmes enceintes qui développent une hypothyroïdie clinique au cours de la grossesse, les recommandations sont de traiter par lévothyroxine (HAS 2023).

En cas d’hypothyroïdie subclinique ou d’hypothyroxinémie isolée, les impacts foeto-maternels sont moins formellement établis et l’intérêt d’un traitement par lévothyroxine reste débattu.

Hypothyroïdie et grossesse par procréation médicalement assistée

Les recommandations sont claires : un dépistage systématique des affections thyroïdiennes est indiqué chez toutes les femmes avant une procréation médicalement assistée. Ce dépistage repose en première intention sur un dosage de TSH.  Si la TSH est supérieure à 2,5 mU/L, elle doit être contrôlée rapidement sur un 2e prélèvement. En cas de TSH confirmée > 2,5 mUI/L, un dosage de T4L est indiqué (dosage en cascade) et doit être associé à un dosage des Ac anti-TPO. Si les Ac anti-TPO sont négatifs, il est recommandé de doser les Ac anti-thyroglobuline et d’effectuer une échographie thyroïdienne à la recherche d’une thyroïdite auto-immune.

L’indication d’un traitement par lévothyroxine chez les femmes bénéficiant d’une procréation médicalement assistée est fondée sur les recommandations de l’European Thyroid Association, les données individuelles de chaque patiente, l’étiologie de l’infertilité et l’histoire obstétricale.

Un traitement par lévothyroxine est recommandé en cas d’hypothyroïdie clinique et dès que la TSH est supérieure à 4 mU/L, quelles que soient les concentrations sériques en Ac anti-TPO ou anti-Tg.

Un traitement par lévothyroxine sera discuté au cas par cas si la TSH est comprise entre 2,5 et 4 mUI/L si la femme a plus de 35 ans et/ou qu’elle a des antécédents de fausses-couches à répétition ou d’infertilité ovarienne (syndrome des ovaires polykystiques, insuffisance ovarienne iatrogène, génétique, auto-immune, …). Un avis spécialisé est préconisé.

De faibles doses seront administrées (25 à 50 µg/jour), à débuter avant la stimulation ovarienne, puis les doses seront adaptées pour obtenir une TSH comprise entre le seuil inférieur et 2,5 mUI/L (proche de 2,5 mUI/L).

Une surveillance par dosage de TSH tous les 3 à 6 mois est préconisée compte tenu du risque évolutif vers une hypothyroïdie.

Références

https://etj.bioscientifica.com/view/journals/etj/9/6/ETJ512790.xml

Hypothyroïdie et grossesse : conclusion

Au cours d’une grossesse, une hypothyroïdie clinique ou subclinique est responsable de complications obstétricales, fœtales et néonatales. Le traitement par lévothyroxine des femmes enceintes ayant une hypothyroïdie peut diminuer les complications maternelles et fœtales.

Dans la mesure du possible, il convient d’optimiser la prise en charge des femmes ayant une hypothyroïdie en restaurant l’euthyroïdie avant la grossesse. Une euthyroïdie au cours d’un traitement substitutif par lévothyroxine pendant la grossesse n’entraîne pas de complication chez la mère ou le fœtus.

Hyperthyroïdie et grossesse

L’hyperthyroïdie au cours de la grossesse est rare : elle concerne 0,1 à 0,5 % des femmes enceintes. Son diagnostic est clinique, difficile s’il existe seulement des signes “habituels” de la grossesse de type palpitations, thermophobie, hypersudation, tachycardie, vomissements, perte de poids, et plus aisé devant les signes de la maladie de Basedow : goitre vasculaire, exophtalmie, myxoedème prétibial.

De la même façon, le dépistage d’une hyperthyroïdie est indiqué chez la femme ayant un désir de grossesse ou chez la femme enceinte, en présence de facteurs de risque de dysthyroïdies (Tableau 1).

Ce dépistage repose en première intention sur un dosage de TSH seule, puis un dosage de T4L en cascade, si la TSH est d’emblée indétectable (< 0,1 mUI/L) ou si la TSH est confirmée basse (entre 0,1 et 0,4 mUI/L) sur un 2e dosage à 6 semaines d’intervalle. En 3e intention, un dosage de T3L en cascade est recommandé si la TSH est basse ou indétectable et la T4L, dans l’intervalle de référence du laboratoire.

Un dosage des Ac anti-récepteur de la TSH (anti-TSHr ou TRAK) est recommandé dans le bilan étiologique : des TRAK positifs sont pathognomoniques de la maladie de Basedow.

Etiologies

La maladie de Basedow est l’étiologie la plus fréquente des hyperthyroïdies (85 %), liée aux Ac anti-TSHr. Au plan clinique, elle associe un goitre, une orbitopathie et un myxoedème pré-tibial. Une aggravation relative est habituelle au 1e trimestre, alors qu’une amélioration survient pendant la 2e moitié de la grossesse ; une rechute est fréquente en post-partum.

Les autres étiologies sont les suivantes :

  • thyrotoxicose gestationnelle transitoire non auto-immune,
  • hyperemesis gravidarum,
  • hyperthyroïdie gestationnelle familiale,
  • môle hydatiforme et choriocarcinome, liés à l’activité TSH-like de l’hCG,
  • nodule et goitre hétéro-nodulaire hyperfonctionnel,
  • thyroïdite sub-aiguë, thyrotoxicose factice,
  • adénome thyréotrope.

Complications d’une thyrotoxicose au cours de la grossesse

Elles sont maternelles, obstétricales, fœtales et néonatales.

Les complications maternelles sont une anémie, des infections, une hypertension artérielle gravidique, une pré-éclampsie (risque x 2), une insuffisance cardiaque congestive, une crise thyrotoxique, voire un décès.

Les complications obstétricales sont une fausse couche précoce, une menace d’accouchement prématuré, un retard de croissance intra-utérin, une hypotrophie fœtale ou une mort fœtale in utero.

Les complications fœtales et néonatales sont des anomalies gastro-intestinales (atrésie œsophagienne, fistule trachéo- œsophagienne), une atrésie des choanes ou la mort fœtale.

Les complications obstétricales dépendent de la durée et de la gravité de la thyrotoxicose. Les complications néonatales sont liées au taux d’Ac anti TSHr, leur passage au travers de la barrière hémato-placentaire entraînant une dysthyroïdie fœtale et néonatale transitoire (hyperthyroïdie si les Ac sont stimulants ou hypothyroïdie s’ils sont bloquants).

Références

Barbero P, Valdez R, Rodríguez H, Tiscornia C, Mansilla E, Allons A, Coll S, Liascovich R. Choanal atresia associated with maternal hyperthyroidism treated with methimazole: a case-control study. Am J Med Genet A. 2008 Sep 15;146A(18):2390-5.

Seoud M, Nassar A, Usta I, Mansour M, Salti I, Younes K. Gastrointestinal malformations in two infants born to women with hyperthyroidism untreated in the first trimester. Am J Perinatol. 2003 Feb;20(2):59-62. 

Prise en charge de l’hyperthyroïdie au cours de la grossesse ou chez les patientes ayant une maladie de Basedow et un projet de grossesse

Les anti-thyroïdiens de synthèse (ATS) sont efficaces pour contrôler une hyperthyroïdie pendant la grossesse, mais ils franchissent le placenta et peuvent être responsables d’effets secondaires de type réactions allergiques cutanées ou générales (fièvre, polyarthralgies, myalgies, vascularites), complications hématologiques (agranulocytose), toxicité hépatique avec le propylthiouracile, et ils peuvent avoir des effets tératogènes (Aplasia cutis, atrésie des choanes, omphalocèle ou embryopathie au carbimazole, sans corrélation avec la dose, et en dépit, le plus souvent, d’une euthyroïdie maternelle).

Le spectre des malformations est variable selon l’ATS : avec le carbimazole (CBZ) peuvent survenir une atrésie des choanes et de l’œsophage, une anomalie du canal omphalo-mésentérique, une omphalocèle, des malformations cardiaques ou musculo-squelettiques, une hypoplasie dermique, des malformations urologiques ; avec le propylthiouracile (PTU), des malformations faciales et du cou et des malformations urologiques. D’une manière générale, les effets tératogènes ne sont pas si rares avec les ATS (prévalence des embryopathies comprise entre 4 et 10 %) et sont moins graves avec le PTU qu’avec le carbimazole.

Les femmes en âge de procréer traitées par ATS doivent être sous contraception efficace. Mais si une grossesse survient, il faut traiter la thyrotoxicose.

Chez les femmes ayant une maladie de Basedow, il est préférable de programmer une grossesse. Une thyroïdectomie totale est indiquée chez les patientes ayant un goitre important et qui envisagent une ou plusieurs grossesses ou bien un traitement par ATS s’impose pour normaliser le taux des Ac anti TSHr avant une grossesse.

Chez une femme atteinte de maladie de Basedow traitée par ATS et qui a un projet de grossesse, il convient de changer l’imidazolé pour le PTU avant la grossesse ou dès le diagnostic de grossesse, voire envisager l’arrêt des ATS dès le diagnostic de grossesse. Ainsi les recommandations aux femmes en âge de procréer traitées par ATS sont-elles de faire un test de grossesse dès le 1e jour de retard de règles et, si le test est positif, de contacter immédiatement le médecin référent.

Une fenêtre thérapeutique est possible entre la 6e et la 10e semaine de grossesse, calculée à partir du premier jour des dernières règles (période de sensibilité maximale aux agents tératogènes). Mais se pose ensuite la question de la reprise du traitement au-delà de la 10e semaine de grossesse et un bilan doit être fait.

En fonction de la sévérité initiale, de l’activité actuelle de la maladie, de la durée du traitement ATS, de la posologie actuelle et des résultats du dernier bilan thyroïdien et des Ac anti TSHr, soit une rémission est probable avec un faible risque de récidive et les ATS peuvent être arrêtés (sous surveillance rapprochée), soit les ATS doivent être poursuivis et il convient d’utiliser le PTU.

La surveillance hormonale repose sur des dosages de T4L mensuelle puis de T4L et de TSH, dès que la TSH est dosable. La T4L maternelle doit être maintenue à la limite supérieure de la normale.

Références

Andersen SL, Olsen J, Wu CS, Laurberg P. Birth defects after early pregnancy use of antithyroid drugs: a Danish nationwide study. J Clin Endocrinol Metab. 2013 Nov;98(11):4373-81.

Conclusion

Une collaboration étroite est nécessaire entre les gynécologues, les obstétriciens, les sages-femmes et les endocrinologues pour le dépistage et la prise en charge d’une hypothyroïdie ou d’une hyperthyroïdie, avant et au cours d’une grossesse spontanée ou par procréation médicalement assistée.

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